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Lecture : Sirènes

Texte et explications

· fiction,histoire,raconter,écrire,idées

 Ce texte est issu du podcast: Passage des histoires

Cette année, j’ai eu l’occasion de m’exercer à la lecture devant un vrai public… anglophone. C’est un événement mensuel ou des auteurs débutants ou confirmés viennent partager leurs textes devant un public, tout simplement. J’aime l’idée de pouvoir partager facilement des textes avec les participants. Et c’est aussi le moyen d’y ajouter une intonation, de se laisser submerger par une émotion… Même si j’étais particulièrement stressée, que mes mains tremblantes faisaient bouger les feuillets, que je manquais de souffle, au bout d’un moment, je suis arrivée me détendre et à me laisser porter par le texte. D’ailleurs, petite j’adorais lire les histoires à voix haute, pas vous ? 

Ce texte est donc un fragment, que j’ai écrit pour l’occasion, sur un thème imposé qui était« La France ». Après la lecture je vous expliquerai comment j’en suis venue à écrire ce texte, et comment vous pouvez en créer de tels.  

Une femme entre dans le métro. Lumière vive des néons blancs. Les gens debout. L’odeur rance de la vieille transpiration. Heure de pointe à Paris pendant l’été. Certaines personnes lisent un livre, appuyées contre les dossiers des sièges de la RATP. Couleur verte censée calmer les yeux et les gens. D’autres tiennent les barres d’acier poli tout en regardant leurs smartphones. Personne ne fait attention à elle. Elle se cale dans un coin, entre le dossier et les portes. Un appel de sirène, les portes se ferment. À travers le verre sale, elle voit le quai bouger. Il disparaît pour faire place à l’obscurité. Le silence a été remplacé par le bruit des moteurs.  Elle voudrait crier. 

 

Elle n’a pas toujours été comme ça, vous savez. La première fois que c’est arrivé, elle ne s’en est même pas rendu compte, ou plutôt, elle ne voulait pas y croire. C’était impossible, impensable. Elle s’en souvient parfaitement cependant...

 

Le train s’arrête. Bondé. Elle soupire. TUUT. Les portes s’ouvrent sur des visages inexpressifs, voire hostiles. Les néons créent des ombres sur la peau, comme des masques de monstres d’Halloween. Heure de pointe.  

Cécile se précipite. Se tourne vers une fenêtre sale et rayée. Tout le monde l’ignore. Statues immobiles. Seules leurs têtes dodelinent lorsque le métro redémarre.  

Elle reste debout car elle sortira dans deux stations. Un sans-abri récite les prévisions météorologiques dans l’espoir de rassembler quelques euros, un coupon alimentaire ou un ticket de métro. Un gars entame une conversation avec lui et lui donne de l’argent. Elle tourne la tête vers le bruit et voit le gars, vêtu d’un costume et d’une cravate, la regarder. Il se dirige vers la porte, debout près d’elle.  Comme la station suivante est proche, les corps se pressent, certaines personnes sortent, d’autres entrent et le métro repart. Elle est en retard, mais elle ne peut rien faire d’autre. Elle ne sait pas si c’est la course pour prendre le métro, la température douce de cette fin du mois de  mai, mais elle peut sentir la sueur glisser de son cou vers le bas de son dos.  

Une station de plus. Ils arrivent bientôt à Châtelet. Elle ressent une pression sur sa hanche. Elle lève les yeux. Le train roule toujours. Elle se retourne pour vérifier qui la pousse comme ça. Elle voit le gars, qui parlait au sans-abri. Vieux, peut-être quarante-cinq ans. Il la regarde sans sourire. En fait, il ne la regarde pas. Ses yeux semblent fixer un point derrière elle. Son visage ne montre aucune émotion. Il regarde à travers elle.  

Cécile se retourne vers la fenêtre. Alors qu’ils arrivent à la station, elle sent une pression contre sa hanche, sa cuisse, sa fesse gauche. Elle contracte les muscles, retient son souffle. Que se passe-t-il? C’est tout ce à quoi elle peut penser. La réunion, le fait qu’elle soit en retard, tout a disparu. 

Elle bouge un peu pour être hors de son chemin. Puis le métro s’arrête. Alors que les portes s’ouvrent, elle se précipite dehors, à bout de souffle, le cœur sur le bord des lèvres. Elle regarde autour d’elle pour vérifier si le connard la suit. Il est toujours dans le métro. Elle sent encore le contact de sa main sur sa jambe, le dégoût, la honte même. Elle veut crier, mais ses dents sont serrées. Elle se précipite dehors, pour se rendre au bureau.  

Elle voit le ciel bleu, les bâtiments blanc-gris, les gens qui se déplacent. Elle respire un peu d’air frais. Elle se sent en paix.

 

Après quelques années à l’étranger, Cécile revient à Paris. 

 

Métro. Heure de pointe. Tête penchée sur son téléphone; elle vérifie à nouveau l’adresse. La carte du métro parisien imprimée dans sa tête, même si elle ne l’a pas utilisée  pendant de nombreuses années. Elle sait qu’elle devra prendre la ligne A. Changement à Châtelet. Un frisson traverse son corps. Elle accélère le pas.  

Debout sur le quai, attendant le métro, Cécile sent la chaleur remonter le long de sa colonne vertébrale. Le métro arrive. Les portes s’ouvrent dans un bruit grinçant. Des corps debout, certains en costume gris, d’autres en robes colorées. Visages inclinés vers le sol ou les smartphones. Elle entre, reste près de la porte. Son sac à main plaqué devant elle.  TUUT... La sirène stridente. Elle l’avait oublié. Et pourtant, elle la reconnaîtrait entre mille. Se calant entre la porte et le siège adjacent, elle regarde les gens, les observe entrer et sortir. Une station de plus. Son rythme cardiaque ralentit enfin. Puis le train vomit sa ration de passagers. Cécile en fait partie. Billet, porte, extérieur. Les gestes automatiques reviennent rapidement. Dehors, le ciel est bleu, mais la façade des bâtiments lui semble plus grise. Elle rejoint le flux des travailleurs dans l’ascenseur.Elle ne reconnaît personne.  

 

Ça vous a plu ? Pour les anglophones, la version anglaise (telle que je l’ai présentée lors de l’évènement) est disponible sur mon compte instagram.  

Mais alors comment j’en suis venue à écrire ce texte ?  

Il s’agissait d’une première pour moi, puisque je devais écrire un court texte en anglais, dont la lecture ne devait pas dépasser cinq minutes, et sur un thème (vaste) mais imposé.  

A l’époque je travaillais sur mon troisième roman qui se passe entre Paris et Shanghai. J’ai donc été largement inspirée par les scènes du métro parisien que je décris dans le livre. Pour en savoir plus sur ce roman, vous pouvez écouter l’épisode 10 de mon podcast, dans lequel je décris pourquoi et comment j’ai écrit ce livre.  

Ce texte n’est pas à proprement parler un extrait du roman, car la version qui figure dans le manuscrit final en est assez éloignée, mais j’ai trouvé intéressant de prendre quelques passages plutôt anodins du livre, et de créer une mini histoire, comme un pendant du roman, une sorte d’avant-goût, sans être un résumé du livre.  

J’ai donc choisi quelques passages qui me semblaient intéressant, qui reflétaient une certaine vision du métro de Paris, et qui pouvaient également marquer l’évolution du personnage. Ensuite, j’ai essayé de les lier entre eux. J’ai commencé par travailler sur le texte en français, mais je me suis vite rendu compte que cela allait être difficile à traduire après en anglais. J’ai donc décidé de le traduire d’abord en anglais (traduction google de base) et de retravailler le texte dans cette langue directement. 

Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas toujours très sûre de mon niveau d’anglais. Je l’utilise quotidiennement dans le travail, mais même si je lis des romans en anglais, je ne me sens pas à l’aise pour écrire de la fiction dans cette langue. Comme s’il me manquait quelque chose. Le fait d’avoir pour base un de mes textes, m’a aidée à me détacher de cette idée de traduire fidèlement ma pensée. J’avais un texte brut, axé sur les sensations, la perception du personnage principal, et ensuite, je me suis focalisée sur le rythme, la fluidité des phrases.  

Donc j’ai lu et relu à voix haute, pour voir si le texte filait bien entre mes lèvres, s’il y avait des répétitions, des lourdeurs, des incompréhensions. J’ai corrigé les fautes et j’ai cliqué sur impression.  

Le soir de la lecture, je me suis sentie très fébrile.

Une dizaine de personnes étaient là pour proposer leurs textes, et comme je ne suis pas passée en premier, j'ai eu le temps de me juger, de me comparer aux autres, plus à l’aise, plus brillants, plus drôles, plus originaux. Quand vint mon tour, le stress était au maximum. Je me suis levée, j’ai planté mes pieds dans le sol et j’ai tenté de rassembler mon courage.  

A la fin, la fluidité du texte me permettait de faire des pauses, pour laisser installer une émotion. J’arrivais même à regarder le public dans les yeux ! Et lorsque nous avons fini toutes nos présentations, certains sont venus me voir pour me féliciter pour cette émotion partagée.  

Ce que j’en retiens, c’est qu’il y a tellement de façon de parler d’un thème, qu’il y en a forcément une qui touchera un public. Cette fois-ci, je n’ai pas essayé de faire « quelque chose » pour correspondre à l’image que j’ai d’un bon orateur ou d’un bon écrivain. Pas de sensationnalisme ni de cliffangher (et si vous avez écouté l’épisode 3 et 7 de mon poscast où je vous livre deux autres textes, vous savez à quel point c’est facile pour moi d’aller sur ce terrain-là). J’ai juste exploré un thème qui m’était cher, et si j’ai pu le partager, être entendue, et peut-être toucher quelques personnes, c’est tout ce qui compte.  

 

Et retrouvez tout le contenu de cet article sur l'épisode 11 du podcast: Passage des histoires

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